La formation continue : un droit, pas un privilège

La Charte européenne des droits fondamentaux stipule que l’accès à la formation continue est reconnu comme un droit fondamental, tout comme l’éducation. Malgré la diversité des dispositifs de formation, proposant une multitude de formats et de parcours adaptés aux besoins et aux situations de chacun, les inégalités persistent. En effet, tout le monde ne dispose pas des mêmes opportunités, ni des mêmes ressources pour y accéder.

Les inégalités commencent très tôt

Le niveau d’études constitue d’emblée un déterminant majeur. Plus le niveau initial est élevé, plus les individus auront tendance à poursuivre un apprentissage tout au long de la vie. Seuls environ 20% des personnes ayant un niveau d’études faible ou incomplet poursuivent une formation, contre près d’un tiers pour celles ayant complété un enseignement secondaire et plus de deux tiers pour celles diplômées d’un enseignement supérieur[1]. Premier constat : les inégalités scolaires se prolongent à l’âge adulte. Les causes peuvent être multiples : inégalités sociales et économiques liées aux revenus ou à l’origine familiale, disparités territoriales entre zones urbaines et rurales, inégalités liées à l’origine migratoire ou encore au handicap.

Au même titre, les écarts constatés dès la formation initiale semblent se maintenir tout au long de la vie. Le statut professionnel et le niveau de revenu le confirment. Près de la moitié des personnes en emploi ont participé à des activités de formation, contre un tiers des chômeurs et moins d’un cinquième des personnes inactives. Par ailleurs, plus le revenu est élevé, plus la probabilité de participer à des formations augmente.

Les obstacles à la formation

Outre ces barrières structurelles, les personnes interrogées[2] évoquent deux obstacles majeurs : l’incompatibilité des horaires (citée par 24% des répondants), et le manque de temps lié aux responsabilités familiales (mentionné par 22% des répondants). De nombreux adultes peinent aussi à concilier leurs obligations professionnelles avec les horaires des formations. Il est possible de supposer que cette contrainte s’avère plus prononcée dans les secteurs où les horaires sont décalés ou imprévisibles. Les charges familiales, telles que la garde des enfants ou l’accompagnement des proches, peuvent également renforcer ce frein, notamment pour les parents isolés dont la disponibilité est plus limitée.

Vient ensuite le coût de la formation, évoqué par 10% des personnes interrogées. Malgré les dispositifs d’aide existants et la gratuité de certaines formations, le coût direct (frais d’inscription, matériel) ou indirect (perte de revenus) reste un obstacle pour une partie de la population, en particulier pour les travailleurs précaires ou les indépendants.

Le manque de soutien des employeurs ou des services publics est mentionné par 7% des répondants. L’absence d’encouragement, de reconnaissance ou d’aménagement du temps de travail par l’employeur, ainsi que le manque d’information sur les possibilités de formation, et les dispositifs d’accompagnement, tels que le congé formation, limitent l’accès à la formation. De plus, certains employeurs perçoivent encore la formation comme une perte de productivité plutôt qu’un investissement. Enfin, des facteurs plus personnels comme la santé (5%) ou l’âge (5%) sont également cités.

À noter que tous ces obstacles ne sont pas exclusifs. Ils peuvent se cumuler, s’amplifier mutuellement, et rendre ainsi l’accès à la formation encore plus difficile.

Tensions entre responsabilités familiales et sociales

Le temps de travail réel moyen des personnes est de 41 heures par semaine. À cela s’ajoutent les pauses, interruptions et le temps de trajet, qui pèse de plus en plus lourd. Entre 2014 et 2024, la durée moyenne consacrée au trajet est passée de 39,6 à 44,8 minutes par jour[3].

Parallèlement, la flexibilisation du temps de travail exigée par les employeurs et promue par le gouvernement, vise dans les faits principalement à étendre les horaires, plutôt qu’à réduire le temps de travail[4]. Ceci ne favorise pas la poursuite de projets personnels de formation en dehors du cadre professionnel.

Par ailleurs, les horaires de travail sont souvent imposés par les employeurs, avec une faible participation des salariés. Moins d’un tiers d’entre eux déclarent avoir une réelle autonomie sur leur temps de travail et ne disposent donc pas d’une flexibilité contrôlée à leur avantage. Ce taux est encore plus faible pour ceux qui travaillent selon des horaires décalés (en dehors du régime de travail classique du lundi au vendredi, de 9h à 17h). Ces derniers sont également plus souvent confrontés à des interruptions de pauses et à des attentes de joignabilité en dehors des heures de travail.

Cette flexibilisation aboutit en réalité à une dégradation des conditions de travail, puisque dans les faits elle devient une extension des horaires et ne répond pas aux besoins et attentes des salariés. La conséquence est que les salariés consacrent donc davantage de temps à leur activité professionnelle, tout en essayant de préserver un minimum de temps de repos et un équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Aujourd’hui, les tensions liées à cette situation sont plus fortes qu’il y a dix ans[5].

Les responsabilités familiales peuvent elles aussi représenter un frein majeur, en particulier pour les parents isolés ou les familles nombreuses. Par exemple, les maisons relais, bien que gratuites, ont des horaires limités (entre 7h et 9h, du lundi au vendredi) et les parents doivent faire face à des listes d’attente. Résultat : certains parents peuvent éprouver du mal à suivre des formations, souvent organisées en soirée ou le week-end. Ces contraintes creusent les inégalités d’accès à la formation.

La formation sur le lieu de travail

La formation continue peut également être organisée spécifiquement pendant le temps de travail, mais les différences perdurent et se confirment. L’investissement en formation, donc la part de la masse salariale consacrée à la formation des salariés, tourne autour de 2%, mais une baisse notable depuis 2007 (3,4%) est à signaler, ainsi que le nombre d’heures par salarié qui y sont consacrées[6].

Malgré le soutien financier de l’État, moins de 10% des entreprises ont recours aux aides publiques. Cette fraction est constituée majoritairement d’entreprises de plus de 50 salariés, et plus largement de celles qui emploient plus de 250 salariés. Cependant, ce sont les petites entreprises, celles qui comptent moins de 50 salariés, qui emploient environ 77% de l’ensemble des salariés du secteur privé[7]. Malgré cette répartition déséquilibrée, environ 56,4%[8] des salariés (dont les entreprises ont eu recours aux aides) participent à des activités de formation continue. Même en extrapolant les données disponibles, il reste difficile d’estimer combien d’entreprises, indépendamment de leur taille, forment leurs salariés.

Les écarts entre petites et moyennes/grandes entreprises en matière d’accès à la formation peuvent s’expliquer par un manque de moyens techniques ou par l’absence de personnes ou de services dédiés pour organiser et assurer le suivi des formations. Il est aussi probable que cette situation soit accentuée par une méconnaissance des aides publiques disponibles ou par l’absence de soutien pour les démarches administratives, en particulier pour les petites structures.

Le rôle du secteur d’activité

La participation à la formation continue sur le lieu de travail et en dehors du cadre professionnel peut être estimée par les enquêtes. Elle varie suivant le secteur d’activité des individus[9]. Trois quarts des salariés du secteur financier et du secteur des services, suivis par ceux de l’industrie, des transports et de l’énergie qui ont pour plus de la moitié participé à des activités de formation. Pour les secteurs du commerce, de l’horeca et de la construction, la participation tend vers un tiers des personnes interrogées.[10]

Il est naturel de présumer que dans ces secteurs, les horaires irréguliers, les heures supplémentaires fréquentes et les conditions de travail physiquement éprouvantes limitent fortement l’accès à la formation continue. Les salariés, souvent épuisés par des journées longues et imprévisibles, peinent à trouver le temps et l’énergie pour se former.

De plus, en présence de rotations plus élevées et de pénuries de main-d’œuvre, les employeurs hésitent davantage à libérer leurs salariés pour des formations. Les individus, surtout ceux sous contrats précaires, privilégient la stabilité de leur emploi à un développement professionnel à plus long terme. À noter que ces secteurs ne sont pas systématiquement synonymes de bas revenus, mais certains métiers sont moins bien valorisés que ceux dont les salariés participent plus activement à des activités d’éducation adulte[11]. Il est évident que les impératifs existentiels (sécurité financière, logement, santé) pèsent plus lourd dans l’esprit des salariés à bas revenus que dans celui des travailleurs mieux rémunérés, limitant ainsi la poursuite de projets individuels de formation en dehors du cadre professionnel.

Au-delà des facteurs déjà évoqués, une autre réalité s’impose pour expliquer les différences entre secteurs. Les obligations réglementaires et les normes, surtout pour les métiers administratifs et techniques, poussent les employeurs à former leurs salariés non par altruisme ou philanthropie, mais bien par contrainte et pour éviter des sanctions. À l’autre extrême, dans les secteurs à emplois précaires, les employeurs hésitent à former leurs salariés, car ils ne savent pas s’ils resteront dans l’entreprise. Par ailleurs, les travailleurs sans convention collective solide n’ont pas non plus le soutien nécessaire pour accéder à une formation de qualité[12].

Entre ambitions et réalités

Les évolutions technologiques exigent une anticipation accrue. Il est donc nécessaire d’identifier les métiers vulnérables, susceptibles de disparaître ou de se transformer avec la transition numérique et écologique, et d’accompagner ces évolutions par une mise à jour régulière des compétences. La formation continue est dès lors un outil indispensable non seulement pour sécuriser l’emploi, mais aussi pour améliorer le bien-être au travail.

Le Socle européen des droits sociaux rappelle que chaque individu a droit à une éducation, une formation et un apprentissage tout au long de la vie, inclusifs et de qualité, pour réussir les transitions professionnelles. Cependant, l’accès à la formation reste inégal. La précarité limite les possibilités d’accès, tandis que les contraintes professionnelles et familiales limitent la disponibilité des travailleurs.

L’Union européenne s’est fixé un objectif d’atteindre un taux de participation annuelle des adultes à la formation de 60% d’ici 2030, avec une étape intermédiaire de 47% en 2025. En 2022, le Luxembourg affichait un taux de 45,5%, se rapprochant ainsi de l’objectif intermédiaire[13]. Le pays vise un taux de 62,5%, démontrant une volonté de dépasser les attentes européennes[14].

Toutefois, les tendances récentes suscitent des inquiétudes. Après une progression régulière, la participation à la formation continue au Luxembourg stagne depuis 2020 et a reculé depuis 2015[15]. Dans le même temps, les craintes existentielles des salariés augmentent, ainsi que le risque de pauvreté et la précarisation de certaines catégories de travailleurs[16].

Briser les inégalités, préparer l’avenir

Il est dès lors indispensable de lever les barrières qui entravent l’accès à la formation. Trois leviers sont particulièrement déterminants : le temps, le financement et l’orientation. Le cadre légal actuel du congé individuel de formation, limité à 80 jours sur l’ensemble d’une carrière (avec un plafond de 20 jours sur deux ans), apparaît comme insuffisant pour des requalifications ou des parcours plus ambitieux. Il convient donc de le réformer pour faciliter l’accès à des formations qualifiantes et potentiellement plus longues. Il est donc primordial d’instaurer un droit individuel à la formation tout au long de la vie, sans restriction, afin de garantir à chaque salarié un accès effectif à la formation continue.

Parallèlement, il parait essentiel d’impliquer les employeurs dans cette dynamique. Ceux-ci devraient être encouragés, voire tenus, de consacrer une partie du temps de travail de leurs salariés à des initiatives de formation. Une telle approche présente un double avantage : elle renforce les compétences, tout en soutenant la pérennité et la croissance des entreprises grâce à des salariés plus et mieux qualifiés. Cette démarche s’inscrit dans une logique de gestion prévisionnelle des compétences, permettant à la fois de sécuriser les parcours professionnels, mais aussi d’anticiper les besoins futurs des entreprises à l’ère des transitions. Dans cette démarche, les représentants des salariés jouent un rôle central. La négociation d’accords collectifs permet d’organiser la formation et de définir des priorités alignées à la fois sur les besoins stratégiques et sur les attentes des individus. Associer les salariés et leurs représentants à l’identification de leurs besoins est essentiel pour développer une offre adaptée.

Garantir l’accès de tous à la formation continue suppose des moyens financiers renforcés. Le financement public doit donc être accru afin de réduire ou supprimer les différents types de coûts liés à la formation, surtout pour les citoyens. Le soutien doit être ciblé pour atténuer les obstacles pouvant entraver l’accès à la formation.

Toutes les aides publiques envers les entreprises doivent, quant à elles, être conditionnées à un engagement concret en matière de formation des salariés. Pour garantir une formation accessible à tous, surtout en présence de tensions entre vie professionnelle et vie privée, il est indispensable d’instaurer une obligation de formation pour l’ensemble des employeurs. Ce soutien doit être renforcé pour les plus petites entreprises, qui ne disposent pas des mêmes ressources que les grands groupes. Investir aujourd’hui dans la formation est crucial, car une réduction des budgets de formation nourrit la pénurie de main-d’œuvre et creuse les inégalités.

Enfin, un service d’orientation personnalisé et de qualité est nécessaire pour informer et accompagner les salariés dans leurs projets de montée en compétences ou de reconversion professionnelle, tant au sein de l’entreprise qu’en dehors.

La formation continue est un pilier indispensable de la justice sociale et un moteur de la prospérité économique. Pour la rendre effectivement accessible à tous, une mobilisation accrue de ressources, tant financières qu’organisationnelles est nécessaire. Seule une politique ambitieuse et coordonnée permet de restaurer l’ascenseur social afin de contrecarrer les inégalités qui semblent prédéterminer les trajectoires professionnelles et de vie, et surtout d’équiper les salariés face aux défis de demain.


1. Enquête sur l’éducation des adultes (AES) 2022.

2. Ibid.

3. Quality of Work Index Luxembourg (QoW) sur leurs conditions de travail et la qualité de travail au Luxembourg (2024).

4. David Büchel, “La réalité de la flexibilisation du temps de travail”, Improof, 21 février 2024.

5. Quality of Work Index Luxembourg (QoW) sur leurs conditions de travail et la qualité de travail au Luxembourg (2024).

6. INFPC, Évolution des pratiques de formation (2007-2017).

7. STATEC, Statistiques sur l’emploi par branche et catégorie d’employés (2015-2022).

8. INFPC, Formation en entreprise : chiffres clés 2024.

9. STATEC, REGARDS – La formation continue des adultes au Luxembourg : résultats de l’enquête CVTS, Série REGARDS n°09, septembre 2022

10. Enquête sur l’éducation des adultes (AES) 2022.

11. STATEC. (2024). Regards – N° 09/2024.

12. ETUC. « 5. Towards a competitive low-carbon EU economy with quality jobs » Benchmarking Working Europe 2025.

13. Enquête sur l’éducation des adultes (AES), réalisée au Luxembourg entre septembre 2022 et février 2023

14. State of play on the national targets for 2030 (as of 16.6.2022)

15. STATEC. (2024). Regards – N° 09/2024.

16. Quality of Work Index Luxembourg (QoW) sur leurs conditions de travail et la qualité de travail au Luxembourg (2024).