Les premiers contrats collectifs luxembourgeois au XIXème siècle, le rôle prépondérant des typographes
Une idée diffuse consiste à penser la création du Luxembourg en 1815 lors du Congrès de Vienne, puis sa prise d’indépendance en 1839, le démantèlement de sa forteresse jusqu’à sa participation à la construction européenne, comme des faits s’inscrivant dans un temps linéaire, sans aspérités, qui, d’ailleurs, est souvent associé à l’enrichissement et au succès économique du pays.
Cette caractéristique supposée dans la socio-genèse apparemment non conflictuelle de l’État politique, économique et social luxembourgeois transparaît à la lecture de certains arguments à différentes périodes. Concernant l’émergence d’un État social, la mobilisation difficile des ouvriers, après une industrialisation prenant tardivement de l’ampleur, principalement à la fin du XIXème siècle, ne devrait pourtant pas exclusivement trouver son explication dans l’absence d’implication, ni dans le manque constant d’intérêt des ouvriers pour la question sociale et pour la conquête de leurs droits sociaux.
Plus précisément, l’argument qui consiste à penser que tout acquis social est mouvant, sans cadre légal, oublie le temps long des revendications difficiles à faire aboutir, et la longue chronologie des combats sociaux, récurrents, qui ont animé le Luxembourg, du fait de la lenteur de leur impact dans une réalisation effective. La constitution d’associations de défense des intérêts dans chaque secteur, voire dans chaque métier est la phase préliminaire du combat pour mener à l’application des revendications sociales. En effet, ces luttes sociales sont souvent entremêlées d’un grand nombre d’échecs, mais aussi de quelques victoires : quand les avancées sociales l’emportent finalement, la législation en est alors modifiée garantissant de nouveaux droits sociaux.
Par conséquent, penser que les acquis sociaux, comme les conventions collectives, n’ont pas de cadre légal stable ou ancré dans le temps, est un contresens historique qu’il convient de réinterroger, en regardant le long processus de leur création et mise en place, notamment durant des périodes où le Luxembourg n’affichait pas de croissance ou de réussite économique aussi flamboyante que durant les « Cinquante fabuleuses ».
En effet, le Luxembourg apparaît souvent comme le pays du compromis, jugé politiquement constant et fiable par rapport à ses voisins révolutionnaires, apportant la stabilité économique, sociale et politique à ceux qui voudraient y investir. Or, l’existence d’une culture de la négociation ne signifie pas pour autant que cette dernière n’est pas le fruit de conflits, de rapports de force, qu’un petit pays comme le Luxembourg a pu se permettre d’engager à son échelle, corseté par ses « grands » voisins et notamment par le couple ami-ennemi franco-allemand, avec un État belge « tampon » intermédiaire ou plutôt modèle alternatif.
La difficile conquête des moyens de revendications, face à un rapport inégalitaire entre patrons et ouvriers
Les causes de conflits sociaux sont nombreuses au Luxembourg, depuis la seconde moitié du XIXème siècle, et les moyens de revendications alors peu développés. Si la Constitution de 1848 garantit la liberté de la presse en plus du droit d’association, ces libertés et droits sont rapidement restreints par l’ordonnance de 1856.
Constitution de 1848, articles 25 et 26[1]
Ordonnance de 1856[2]
Des autorisations préalables sont dès lors nécessaires pour la formation d’une association.
En théorie seulement, les droits d’association et de presse sont néanmoins rétablis en 1868 dans l’article 24 et l’article 26 :
« La liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés. – La censure ne pourra jamais être établie. Il ne peut être exigé de cautionnement des écrivains, éditeurs ou imprimeurs. – Le droit de timbre des journaux et écrits périodiques indigènes est aboli. – L’éditeur, l’imprimeur ou le distributeur ne peut être poursuivi si l’auteur est connu, s’il est Luxembourgeois et domicilié dans le Grand-Duché. »
Et
« Les Luxembourgeois ont le droit de s’associer. – Ce droit ne peut être soumis à aucune autorisation préalable[3]. »
Il demeure néanmoins délicat pour les ouvriers de revendiquer ces droits, à cause de l’article 310 du Code pénal qui autorise le gouvernement à réprimer les ouvriers en grève. En effet, si l’interdiction des confréries et associations ouvrières avec un but politique est officiellement abolie en 1868, le gouvernement peut exiger auprès des associations les noms de leurs adhérents, la teneur de leurs statuts et le procès-verbal de leurs séances. Les associations ne sont pas dotées de la personnalité juridique et ne peuvent donc pas conclure des contrats ou prendre la défense de leurs adhérents devant les tribunaux.
Inspirée du Code pénal belge, cette législation répressive est aggravée par la loi du 10 juin 1898 concernant la répression des atteintes à ce qui est perçu comme la liberté du travail qui remplace le « délit de coalition ouvrière » par « l’atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail » d’après l’« Article unique » reproduit ci-dessous, et réclame amendes et peines de prison pour toutes violences, injures, menaces, destructions touchant la « liberté du travail ».
La loi du 10 juin 1898 avec l’article 310[4]
Concrètement, les ouvriers ne peuvent pas librement se réunir près des usines. Plus répressive qu’en France où la loi de 1864 demandait que plusieurs personnes constatent un délit, la loi luxembourgeoise ne réclame qu’un seul témoignage oral ou écrit pour engager des poursuites.
Le rapport inégalitaire entre patrons et travailleurs qui ne peuvent que très difficilement s’organiser et se mobiliser, est perçu et réellement dénoncé de façon d’autant plus flagrante dans la seconde moitié du XIXème siècle que l’usage du livret ouvrier instauré au Luxembourg en 1803 a été systématisé en 1813 sur une longue période. Ce document suit l’ouvrier au fil de toute sa carrière et contrôle ainsi ses déplacements. Les discussions pour la fin de l’usage de ce livret ouvrier qui commencent en 1895 ne se terminent qu’en 1920 au Luxembourg[5]. En France, pays de sa création et de sa diffusion, il est aboli en 1890.
Ce livret place les travailleurs, en particulier les plus pauvres issus notamment de la petite, moyenne puis grande industrie, dans l’impossibilité de négocier leur contrat de travail face aux employeurs du pays, les journaliers demeurant livrés précairement aux besognes et au salaire à la journée.
Extraits d’un livret ouvrier de 1878[6]
Les potentiels ouvriers « fauteurs de troubles » sont ainsi particulièrement à la merci de ce que le patron pouvait inscrire sur leur livret qui les suivait durant sa carrière. Ce document écrit, raturé, modifié, apparaît comme l’anti-convention collective : individuel, marquant une relation de travail personnalisée avec l’employeur, il exclut toute règle collective de droits sociaux et invite le patron à suivre, refuser ou accepter le travailleur sans négociation possible.
De plus, le règlement compris dans les autres pages du livret soumet l’ouvrier à des devoirs vis-à-vis de l’employeur qui lutte par ce biais contre la désertion et l’indiscipline :
Règlement d’un livret ouvrier de 1878[7]
Si l’ouvrier est arrêté sans son livret, il peut être considéré comme vagabond et emprisonné. Enfin, seule la signature de son précédent employeur lui donne la possibilité de rechercher et trouver un nouvel emploi : le contrat de travail n’est donc établi qu’en faveur du patron.
Les prémices d’une organisation et d’une mobilisation dans le monde du travail, syndicats et sociétés de secours mutuels
Malgré les obstacles, les premiers syndicats de brasseurs, cordonniers et de typographes apparaissent néanmoins dans la seconde moitié du XIXème siècle. Les brasseurs revendiquent d’abord des droits sociaux en 1861[8], suivis par les typographes luxembourgeois constitués en syndicat en 1864.
Mémoire de la date de 1864 pendant l’Exposition sociale de 1939[9]
On remarque que la date de 1864 est davantage reprise que 1861 dans la mémoire collective luxembourgeoise[10]. Dès 1863, les typographes participent aux associations de travailleurs nouvellement formées, déjà mentionnées en 1861[11] :
L’Union, 19 avril 1863[12]
On y lit la présence du célèbre imprimeur Victor Buck.
Au Luxembourg, les associations de travailleurs semblent alors se confondre avec l’ancienne organisation corporatiste des gens de métier, disparue à partir de 1795 après le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier de 1791 mettant fin aux corporations. Le contexte est, en outre, propice aux revendications sociales car, dans la seconde moitié du XIXème siècle, plus de cinquante journaux paraissent, après le moment fondateur de 1848, ce qui constitue une véritable révolution politique et économique de la presse avec la suppression du droit de timbre et la baisse du prix des journaux. Une opinion publique se forge alors autour d’une vie associative dynamique incluant tous les milieux sociaux, ouvriers, employés, fonctionnaires, commerçants, artisans. Après l’obtention d’une conquête sociale par le corporatisme syndicaliste lié au monde du livre, les syndicalistes luxembourgeois érigent un modèle national qui sert d’exemple pour tous les autres secteurs, dans une dimension de lutte collective.
Le Luxemburger Wort mentionne d’ailleurs l’introduction de ces associations au Luxembourg qu’il dit novatrices et articulées selon le modèle prussien :
Luxemburger Wort, 2 octobre 1863[13]
D’ailleurs, à partir de 1864, des associations catholiques se développent également. Après 1906, ces associations ouvrières catholiques inspirées du modèle allemand connaissent un grand succès et regroupent quelques 3 700 membres à la veille de la Première Guerre mondiale[14].
Chambre de travail, Bericht, 1925-1938[15]
D’après le rapport d’activité de la Chambre de travail, les ouvriers du tabac imitent les ouvriers typographes en 1865, tout comme les ouvriers chapeliers en 1867, mais encore les gantiers en formant les premiers syndicats, puis les menuisiers, les métallurgistes et les cordonniers : le monde de l’artisanat se mobilise en formant des associations de défense de leur profession[16].
Des grèves d’imprimeurs éclatent encore en 1865 :
L’Union, 28 novembre 1865[17]
De même, le monde de la ganterie et de la tannerie s’arrête en partie de travailler la même année, afin d’obtenir la journée de 10 heures.
Wächter an der Sauer, 18 juillet 1865[18]
La petite industrie mêlée à l’artisanat devance le monde ouvrier de la grande industrie qui était à cette époque hétérogène, mobile, peu ancré localement malgré le début de l’émergence de grands bassins d’emplois comme au Sud du pays, composés de nombreux paysans-ouvriers.
Les appréhensions des dirigeants et des autorités sont cependant déjà réelles, au point que les débats sur la réforme des forces de l’ordre à mobiliser pour contrer une révolution sociale sont scrupuleusement relayés dans la presse :
Courrier du Grand-Duché, 14 novembre 1867[19]
Dans ce contexte, des ouvriers-imprimeurs tentent de négocier leur première convention collective d’entreprise en 1871, avant la ganterie et la brasserie[20].
L’Indépendance luxembourgeoise, 21 novembre 1871[21]
Il en est fait encore mention dans le Luxemburger Wort du 22 novembre 1871[22] :
L’Indépendance luxembourgeoise, 26 novembre 1871[23]
Sur le modèle allemand, des imprimeurs de livres ont été les premiers à obtenir une convention collective en 1871 : plus précisément, ils s’accordent avec leurs employeurs sur le respect de conventions collectives particulières dans certaines imprimeries, sans encore réussir à les généraliser à la profession. D’après l’ouvrage des 125 ans de la Fédération luxembourgeoise des Travailleurs du Livre (FLTL), la date précise du 5 novembre 1871 semble être celle de la mise en place d’un premier tarif collectif pour les imprimeurs renégocié régulièrement[24]. Ce n’est que quelques décennies plus tard que, d’entreprise en entreprise, les imprimeurs réussissent ensuite à former une convention collective générale. Comme dans les pays voisins, les typographes luxembourgeois sont donc les meneurs de l’organisation syndicale et de la contestation sociale, la profession étant liée à la diffusion des idées, mêlant lettrés et ouvriers.
Ainsi, loin d’être sans aspérités, l’histoire sociale du Luxembourg est émaillée par des mouvements sociaux fréquents qui tentent d’établir un rapport de force favorable à la conquête de droits économiques et sociaux. Par étapes, ces grèves se succèdent autour de revendications qui, si elles n’aboutissent pas en faveur des ouvriers, conduisent à une frustration sociale qui resurgit quelques années plus tard dans un nouveau mouvement social.
Par ailleurs, le syndicat des brasseurs de Luxembourg est créé par des brasseurs munichois tandis que celui des gantiers, opérationnel en 1868 à la maison Hardt, augmente ses tarifs après les grèves de février 1871 et de 1897[25].
Pour autre exemple, un mouvement syndical éclate en 1872 chez les imprimeurs, les gantiers et d’autres branches comme celle des ouvriers terrassiers mais, loin d’obtenir satisfaction, il est réprimé et 18 de ses membres sont condamnés à des amendes. L’état des condamnations prononcées par le tribunal correctionnel de Luxembourg en témoigne : il est comptabilisé sur les 61 condamnations à payer une amende entre 5,50 fr et 53,85 fr pour « grève simple » pendant la période de 1869 à 1879, 18 typographes et imprimeurs, les tanneurs et cordonniers arrivant à la deuxième position avec 11 condamnations et les gantiers en troisième avec 9 amendes.
Extrait de l’État des condamnations prononcées par le tribunal correctionnel de Luxembourg entre 1869 et 1879[26]
Malgré la répression, les typographes réussissent finalement à diminuer leur journée de travail de 11 heures à 10 heures, à augmenter leurs revenus et à négocier le nombre d’apprentis embauchés par imprimerie[27]. Les premiers syndicats luxembourgeois semblent recréer, dans un esprit proto-corporatiste, les corps de métier par profession disparus après la Révolution française mais avec une volonté de généralisation à toutes les branches. Dans ce contexte, un appel international émanant des typographes belges en 1879 retient l’attention des typographes luxembourgeois qui décident de manifester leur adhésion à la tenue d’un congrès à Bruxelles l’année suivante[28].
La première convention collective générale dans le commerce de l’impression des livres échoue en 1889 à cause de la lutte pour l’obtention de la journée de 9 heures. Le débat fait rage, notamment dans la presse qui y est hostile[29]. La peur de l’émergence d’une « guerre sociale » y est mentionnée[30]. Le temps de la journée de travail est débattu à travers les exemples notamment anglais[31].
En parallèle, la loi sur les sociétés de secours mutuels officialise le besoin d’organisation et d’entraide de la part des ouvriers[32]. Avec cette loi, ces sociétés de secours sont reconnues légalement et démultipliées[33] :
Rapport général de la Chambre de commerce, 1894
Les caisses de secours sont aussi renforcées, comme en 1893 pour le ouvriers-gantiers[34] et pour celle des surveillants et ouvriers des forges d’Eich Metz & Cie en 1894 :
Arrêté du 15 septembre 1894[35]
Des grèves locales éclatent encore en 1893 et en 1894 dans la tannerie, d’après L’Indépendance luxembourgeoise du 30 mai 1894[36].
La lente conquête des premiers « contrats collectifs » généralisés à une profession
D’après la Chambre des députés et la Chambre de travail, les typographes réussissent à obtenir leur première convention collective généralisée fin 1893 exécutée le 1er janvier 1894[37]. Or, si cet accord ne fait certes pas office de loi, il n’est pas relayé dans la presse ou encore dans le rapport général de la Chambre de commerce en 1894 ou en 1895. Dans les Mémorials A, pour le début de l’année 1894, seule la mention de l’arrêté fixant le prix de la journée de travail pour l’année 1894 est indiquée.
Mémorial A fixant le prix de la journée de travail[38]
Cependant, d’après l’état des lieux de l’économie produit par la Chambre de commerce en 1894 pour l’année 1893, la journée d’un typographe était plus que doublée voire triplée avec 2,50 francs et 3 francs en comparaison avec le prix de base de 1 franc la journée de travail retenu par la loi. Si le contexte de revendication n’est pas précisé en 1894-1895, ni en 1895-1896, les améliorations salariales sont pourtant mises à jour à la main dans les mêmes rapports, avec des salaires 4 à 5 fois supérieurs à ceux du journalier dans d’autres secteurs en 1893 :
Mémorial A, situation économique de l’Imprimerie d’après la Chambre de commerce en 1896[39]
En parallèle, les fonctionnaires obtiennent la même année une amélioration de leurs conditions de travail et cela fait office de loi du fait de l’employeur étatique.
Loi du 1er janvier 1894 majorant les traitements des fonctionnaires[40]
Ainsi, dans ce contexte de revendications, les imprimeurs luxembourgeois ont réussi à obtenir une augmentation continue de leur salaire. En outre, des grèves des ouvriers-typographes éclatent partout ailleurs en Europe et sont suivies de près par la presse luxembourgeoise, par exemple ici à Anvers :
La grève des typographes à Anvers, Luxemburger Wort, 4 décembre 1894[41]
Une grève luxembourgeoise des cigaretiers est signalée fin 1894[42]. Mais, nulle mention dans la presse luxembourgeoise, ni dans les rapports généraux de la Chambre de commerce, d’une grève luxembourgeoise des typographes ou imprimeurs cette même année. La presse belge, néanmoins, renseigne un événement à Arlon dans l’imprimerie Brück, ce dernier ayant quitté le Luxembourg pour installer une imprimerie dans cette même ville après 1830[43], sans préciser si le Luxembourg est également touché :
La Meuse, le 11 novembre 1894[44]
Cette grève est déclenchée suite à un refus par les patrons de l’imprimerie d’augmenter les salaires des typographes qui, immédiatement, se mobilisent à Arlon.
Au Luxembourg, la question sociale semble pourtant au coeur des tractations comme le prouve la loi du 30 juillet 1895, dont le projet de loi est commenté dans la presse depuis 1893[45] : cette loi délimite le paiement des salaires des ouvriers, tout en donnant la marge de manoeuvre des patrons en matière de paiement en nature, à la source du paternalisme et de sa gestion, par exemple, du logement des ouvriers :
Loi concernant le salaire des ouvriers, 1895[46]
Le premier contrat collectif généralisé à toute une profession aurait donc été conclu en 1894 et est enfin promulgué en 1904 selon les influences allemande mais aussi suisse, d’après les publications de la Chambre de travail en 1926[47]. Pourtant, un autre accord entre patrons et ouvriers-typographes est mentionné, non pas en 1894 mais pour l’année 1897, période également de soulèvement des ouvriers houillers italiens et luxembourgeois[48], et d’autres sources s’en font l’écho, y compris les dossiers de justice J-076-065 et J-076-066 (mouvement ouvrier) des Archives nationales qui rendent compte de la grève dite des typographes en 1897-1898.
En effet, fin 1897 – début 1898, la grève des typographes qui éclate alors est jugée suffisamment importante pour être couverte par la presse[49] et signalée dans le rapport général de la Chambre de commerce qui paraît dans le Mémorial de 1899 :
Arrêté du 31 mai 1899 concernant la publication du rapport général de la Chambre de commerce pour les années 1896 et 1897[50]
Après un mouvement social engagé le 7 janvier 1898, ils aboutissent à une grève ouverte qui, même si elle se termine en mars de la même année, leur permet de généraliser la journée de 9 heures quelques années plus tard (1904), ce qui est confirmé dans un rapport de la Chambre de travail écrit a posteriori après la Deuxième Guerre mondiale.
Rapport d’activité de la Chambre de travail de 1939-1956[51]
De même, à l’occasion des 125 ans de la Fédération luxembourgeoise des Travailleurs du Livre (FLTL), J. Castegnaro écrit dans l’ouvrage dédié à l’anniversaire, sans mentionner la date de 1894 :
„1898 schon hatte der Verband einen vier Wochen dauernden Streik durchzustehen, bei dem es um die Erhöhung der Löhne und die Verbesserung der Arbeitsbedingungen ging.[52]“
En 1902, ils mettent en place des caisses d’assurance maladie et en 1904, les syndicalistes typographes soutiennent les chômeurs[53]. En outre, la création d’une Société des œuvres coopératives à Esch est approuvée par l’arrêté du 16 janvier 1904 et « a pour objet la création et l’exploitation d’imprimeries » au sein de la Maison du peuple de Esch[54]. En 1905, un cartel regroupe les associations d’imprimeurs, de gantiers, de cordonniers, de tabaquiers, de métallurgistes. Un club de typographes est fondé en 1908, posant les bases de l’école de formation continue[55].
En 1913, les imprimeurs renégocient enfin une nouvelle convention collective où leurs salaires sont augmentés de 25 centimes et qui accorde trois jours de vacances, premiers congés payés au Luxembourg :
Nouvelle convention collective des typographes en 1913[56]
Ainsi, les conventions collectives semblent renégociées, vraisemblablement tous les quatre ans :
Convention collective des imprimeurs de 1910 à 1914, archives de l’OGBL
Nouvelle convention collective des imprimeurs luxembourgeois de 1914 à 1918, archives de l’OGBL
Malgré les difficultés de la guerre, les imprimeurs acquièrent la journée de 8 heures en 1918. Une conquête sociale en amenant une autre, ils obtiennent la création d’une caisse d’assurance invalidité et un soutien au veuvage.
Journal du syndicat des typographes (FLTL) créé en 1932, qui perdure jusque dans les années 1960 sous la direction de B. Barbel[57]
Les typographes luxembourgeois restent également très connectés au réseau international de leur profession, participent aux différents congrès d’imprimeurs de Lucerne, Vienne, Hambourg et Berlin, et organisent même un congrès international au Luxembourg en 1936.
Brochure du congrès typographique international en 1936, archives de l’OGBL
Pour conclure, les imprimeurs ont ainsi incarné au niveau national les meneurs des revendications sociales suivis par les gantiers, les tanneurs et les brasseurs. Ils se sont également investis dans des institutions de défense, des sociétés de secours mutuels, et des syndicats. Ensuite, ils se sont impliqués au sein des Chambres salariales afin de généraliser les « accords » puis « contrats collectifs », finalement appelés « conventions collectives » au XXème siècle.
Les mouvements sociaux et les premières organisations associatives de travail ont ainsi pesé dans l’élaboration de ces contrats collectifs constitués sur un temps long, face à l’hostilité du patronat et des gouvernements luxembourgeois successifs du long XIXème siècle. Les conventions collectives trouvent donc leur origine dans un combat collectif qui les fait peu à peu entrer dans le cadre légal de l’État luxembourgeois et ont fini par constituer un élément de pacification sociale.
Image d’en-tête : La Linotype de l’exposition “Gutenberg revisited” du musée Kulturhuef de Grevenmacher inventée en 1884 par Ottmar Mergenthaler et photographie de l’atelier de linotypie du Journal @ Bibliothèque nationale de France / Fonds du journal L’Aurore / droits réservés