Portrait des ménages bénéficiaires et candidats à un logement abordable au Luxembourg

Au Grand-Duché, l’augmentation continue des prix du logement et des loyers pratiqués sur le marché privé a rendu l’accès au logement difficile pour une grande partie des ménages et surtout pour les locataires. Ce constat pose la question de l’abordabilité des logements au Luxembourg et le défi du droit au logement pour tous. C’est dans ce contexte que le gouvernement et le Ministère du Logement ont lancé une stratégie nationale visant à augmenter massivement et durablement le parc de logements publics abordables par la nouvelle loi du 7 août 2023 relative au logement abordable et modifiant la loi du 25 février 1979 concernant l’aide au logement[1], qui était jusqu’alors le texte législatif central régissant le secteur locatif social au Luxembourg. Elle a établi le cadre général pour la mise en place de logements sociaux et définit les conditions d’attribution soumises à des critères stricts[2].

Les principaux acteurs engagés dans la production de logements locatifs abordables au Luxembourg incluent le Fonds du Logement (FDL), la Société Nationale des Habitations à Bon Marché (SNHBM) ainsi que les communes. De plus, le Ministère du Logement a établi des partenariats conventionnés avec plus de trente organismes en 2021, dans le but de gérer la location sociale dans le secteur privé (GLS). Ces partenaires se composent de municipalités, d’offices sociaux, de syndicats de communes, de fondations telles que la Fondation pour l’Accès au Logement (FAL), ainsi que d’Associations Sans But Lucratif.

La nouvelle loi du 7 août 2023 introduit également un Registre National des Logements Abordables (RENLA) qui permettra de comptabiliser l’ensemble des logements abordables.

En 2019, sur environ 250 000 ménages résidents que compte le pays, moins d’un tiers (31%) étaient des ménages locataires, une proportion stable depuis 2004 (27%). Le marché locatif se divise en logements au prix du marché (25%) et en logements à prix réduit (5,1%), dont le logement locatif social (environ 4,000 ménages).

Les travaux de l’Observatoire de l’Habitat s’intéressent depuis plusieurs années à la question des coûts et conditions de logement sur le marché privé[3], ainsi qu’à l’accessibilité financière à ces logements et donc à leur abordabilité[4]. Néanmoins, peu d’études se sont penchées sur le profil de ces ménages bénéficiaires d’un logement en location abordable[5]. Ainsi, à partir des bases de données administratives des principaux organismes engagés dans la production de logements sociaux (FDL, SNHBM, FAL), l’objectif des lignes qui suivent est de mieux comprendre le paysage du logement locatif abordable au Luxembourg et d’analyser les profils des locataires et des demandeurs de logements sociaux.

Quels sont les trois acteurs étudiés pour le profil des bénéficiaires de logements en location abordable ?

  • Le Fonds du Logement (FDL) : le promoteur majeur du logement abordable au Luxembourg

Le FDL[6], créé en 1979, est un organisme public au Luxembourg dédié à la promotion du logement abordable et est le plus grand promoteur public de logements locatifs abordables. Il joue un rôle majeur dans la mise en œuvre de la politique de logement abordable et est un pilier essentiel pour assurer l’accès au logement décent. Le FDL gère et développe un parc de logements abordables à des coûts réduits pour les ménages à faibles revenus. Sur les 4 368 logements réalisés (1979-2022[7]), près de la moitié (49,4%) ont été réalisés pour la location aux particuliers.

  • La Société Nationale des Habitations à Bon Marché (SNHBM) : plus d’un siècle de logement abordable au Luxembourg

La SNHBM[8], créée en 1919, est une institution publique au Luxembourg spécialisée dans la promotion du logement abordable destiné principalement à la vente et depuis quelques années aussi à la location. Elle est chargée de la construction, de la gestion et de la location de logements abordables. En 2022, elle détient un parc locatif abordable de 441 logements[9]. Comme le FDL, elle collabore étroitement avec d’autres acteurs du logement abordable, les communes et le gouvernement pour répondre aux besoins en matière de logement abordable.

  • La Fondation pour l’Accès au Logement (FAL) : promouvoir le droit au logement pour tous au Luxembourg et favoriser l’autonomie des locataires

La FAL[10] est une organisation à but non lucratif au Luxembourg créée en 2009 et qui joue un rôle clé dans la promotion du droit au logement pour tous. En plus de son département voué à la promotion sociale (Abitatio), la FAL se concentre sur la gestion locative sociale avec l’agence immobilière sociale (AIS), attribuant les logements en fonction de critères sociaux et favorisant l’autonomie des locataires (accompagnement social). En tant que partenaire conventionné par le Ministère du Logement, la FAL gère essentiellement des logements privés (624 logements en 2023) à des fins sociales et collabore avec d’autres acteurs du logement abordable.

Source et description des bases de données utilisées

Chacune des bases de données renferme des détails sur les logements, notamment leur type (maison, appartement, studio), le nombre de pièces/chambres, l’emplacement, les coûts associés (loyer, charges), la date d’occupation, ainsi que la surface du logement. De plus, elles fournissent des données sociodémographiques sur les résidents, telles que le revenu disponible net, le niveau de vie, la région de résidence, l’âge et le sexe du locataire principal, ainsi que la composition du ménage.

Quel profil pour les ménages bénéficiant d’un logement en location abordable ?

Lorsque les données le permettent, les caractéristiques des ménages bénéficiant d’un logement locatif abordable de la FAL, de la SNHBM et du FDL seront comparées à celles des ménages locataires du marché privé en 2019[11].

Quels sont les principaux points à retenir ?

  • Répartition géographique

La répartition des ménages bénéficiant de logements locatifs abordables varie en fonction de l’organisme. La SNHBM compte 70,3% de locataires dans le centre du Luxembourg, tandis que le FDL a une concentration plus forte dans le sud (51%). La FAL possède des logements répartis dans tout le pays, avec une présence un peu plus élevée dans le Sud (39,9%) et le Centre (27,9%).

  • Genre et âge des chefs de ménages

La répartition par genre diffère selon les organismes, avec environ 45% de locataires masculins à la FAL et au FDL, mais plus de 78% à la SNHBM. Quant aux ménages locataires du marché privé, leur répartition selon le genre se trouve au milieu avec 64% des chefs de ménages étant des hommes.

Les chefs de ménage occupant des logements sociaux à la SNHBM et au FDL sont en moyenne plus âgés (50,5 ans et 56,1 ans respectivement) que ceux du marché privé (46,2 ans) ; tandis qu’à la FAL, ils apparaissent plus jeunes en moyenne (42,9 ans).

  • Composition des ménages

Les familles monoparentales sont surreprésentées parmi les ménages bénéficiant de logements locatifs sociaux, représentant de 3 à 5 fois plus de ménages par rapport au marché privé. Les familles nombreuses (c’est-à-dire les couples avec au moins 2 enfants) sont également proportionnellement plus nombreuses parmi les locataires sociaux.

Répartition des ménages locataires sociaux et du marché privé selon leur composition

Source : Fichiers 2022 de la FAL, SNHBM et FDL ; EU-SILC 2019

  • Taille des ménages et type de logement

Les ménages locataires sociaux comportent en moyenne plus de personnes en leur sein, en particulier à la FAL. Les ménages de 5 personnes sont en effet trois à dix fois plus nombreux parmi ces derniers que parmi les ménages locataires du marché privé.

Répartition des ménages locataires sociaux et du marché privé selon leur taille

Source : Fichiers 2022 de la FAL, SNHBM et FDL ; EU-SILC 2019

Par ailleurs, comme les locataires du marché privé, la majorité des locataires sociaux de la SNHBM et du FDL vivent dans des appartements (80% voire plus). La FAL arbore un profil plus particulier puisque près de 60% de ces bénéficiaires sont logés dans des appartements et 41% dans des maisons.

  • Revenu disponible

Un des critères d’affectation des logements locatifs abordables est le niveau de ressources des ménages. De par cette logique, les revenus disponibles et les niveaux de vie des locataires sociaux des trois organismes s’affichent inférieurs à ceux des locataires du marché privé. Grâce à la comparaison de la distribution des revenus, on peut d’ailleurs s’apercevoir que les locataires sociaux sont plus concentrés dans l’échelle inférieure des revenus tandis que les locataires privés affichent une courbe beaucoup plus étalée des revenus. Par ailleurs, plus de la moitié voire les trois-quarts des locataires bénéficiant d’un logement locatif abordable des trois organismes ont un revenu disponible en dessous du revenu disponible médian des locataires du secteur libre[12].

Graphique : Distribution des revenus disponibles nets mensuels en fonction du statut d’occupation (locataires du marché privé et locataires sociaux de la FAL, SNHBM et FDL)

Source : Fichiers 2022 de la FAL, SNHBM et FDL ; EU-SILC 2019

  • Taux d’effort

L’objectif essentiel de l’accès à un logement locatif abordable est de réduire la lourde charge financière que représente le logement pour les ménages. En conséquence, il n’est pas surprenant que les ménages bénéficiant d’un logement locatif abordable maintiennent un taux d’effort qui ne dépasse jamais en moyenne 27%[13] ; tandis que les ménages locataires du marché immobilier privé supportent des taux d’effort plus élevés, atteignant 37,3% en 2019, voire même 50% pour les plus vulnérables (Leduc et al., 2021[14]).

Qui sont les ménages candidats à un logement locatif abordable ?

En mars 2023, un peu plus de 5500 ménages candidats à un logement abordable (soit plus de 15 400 individus) étaient inscrits sur la liste d’attente pour obtenir un logement locatif abordable auprès du FDL. Ce nombre a augmenté de plus de 40% par rapport au début de l’année 2021. En moyenne, la durée d’attente sur cette liste est d’un peu moins de 3 ans (2,9 ans). Près de 30% (27,8%) de ces ménages y sont inscrits depuis moins d’un an ; et 21,3% ont entre un et deux ans d’ancienneté sur cette liste.

Ces ménages avaient un revenu mensuel de 1 695€[15], presque identique à celui des ménages déjà bénéficiaires d’un logement locatif abordable, et toujours inférieur à celui des locataires du marché privé. Environ 40% d’entre eux consacraient plus de 30% de leur revenu disponible au coût de leur logement au moment de la demande.

La plupart des ménages candidats souhaitent vivre dans les régions du Sud (42,7%) et du Centre (28,5%) du pays. En outre, la région où ils résident au moment de leur demande influence leur choix de région préférentielle. Par exemple, la majorité des candidats résidant dans la région Centre souhaitent également y obtenir un logement, de même pour d’autres régions.

La majorité des chefs de ménages candidats sont des hommes (57%), et ils sont en moyenne plus jeunes que les bénéficiaires d’un logement locatif abordable au FDL (43,4 ans contre 56,1 ans).

La plupart des ménages candidats sont composés d’un adulte (39,5%), mais comme pour les ménages bénéficiaires, il existe une surreprésentation des familles monoparentales (22,4%) et des couples avec au moins deux enfants ou plus (26,6%) parmi les candidats par rapport à la population totale des ménages.

Répartition des ménages (EU-SILC 2021) et des ménages candidats à un logement abordable au FDL (2023) selon leur composition familiale

Source : Eurostat, EU-SILC 2022 – ILC_LVPH04 – Dernière MAJ : 11/10/23 ; Fichiers 2023 du FDL des ménages candidats à un logement abordable

En ce qui concerne les conditions de logement au moment de la demande, si le FDL suit les critères des dispositions du règlement grand-ducal du 16 novembre 1998, il mesure également l’urgence de la situation des ménages candidats au moment du dépôt de leur dossier (logement inadapté, sous contrat à durée déterminée avec une ASBL, en situation de déguerpissement/expulsion ou de résiliation, insalubrité, absence d’installation sanitaire). Parmi ces ménages, 35% ne rencontrent aucune de ces situations au moment de la demande, tandis que 42,1% sont affectés par au moins l’une de ces conditions. De plus, 22,3% cumulent deux de ces problèmes, et 0,5% en cumulent trois. Les deux situations les plus courantes parmi les candidats sont le logement inadapté (44,7%) et le contrat de location à durée déterminée avec une ASBL (37,7%), principalement lié aux bénéficiaires de la FAL qui ont l’obligation de demander un logement au FDL.

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Le profil des locataires et des demandeurs de logements locatifs abordables au Luxembourg révèle des caractéristiques et des besoins spécifiques, tant en termes de logement que de services de soutien général, qui nécessitent une attention particulière de la part des autorités et des organisations impliquées dans la gestion du logement abordable.

Si le gouvernement luxembourgeois ou les communes ont déjà investi dans la construction de nouveaux logements abordables afin d’augmenter l’offre disponible pour les ménages à revenus modestes, les partenariats et les efforts conjoints de toutes les parties prenantes peuvent contribuer à améliorer considérablement l’offre de logements abordables.

Au-delà de la question du logement abordable, l’objectif est d’offrir aux ménages bénéficiaires ou demandeurs une assistance plus complète pour les aider à relever les défis auxquels ils sont confrontés et à améliorer leur qualité de vie. Cela peut inclure un soutien social pour les aider dans leur quotidien, à gérer leur budget (par exemple, en maîtrisant leur consommation d’énergie), à épargner et à éviter les difficultés financières. Leur participation à des programmes de formation visant à acquérir de nouvelles compétences et à améliorer leurs perspectives d’emploi, ainsi que leur intégration dans des initiatives plus vastes de lutte contre l’exclusion sociale, peuvent également constituer des solutions.


1. Source : https://legilux.public.lu/eli/etat/leg/loi/2023/08/07/a611/jo

2. L’attribution des logements sociaux est soumise à des critères stricts pouvant inclure des plafonds de revenus, la composition du ménage, la résidence au Luxembourg, et d’autres éléments permettant de déterminer l’éligibilité des candidats. Ces critères sont par ailleurs complétés par des règlements grand-ducaux, notamment celui du 16 novembre 1998 concernant le calcul des loyers, complété par le règlement grand-ducal du 18 mars 2008

3. Leduc, K., Lorentz, N., Vergnat, V., Peluso, E., Licheron, J., & Paccoud, A. (2021, Oct 7). Évolution du taux d’effort des ménages résidents du Luxembourg selon leur mode d’occupation et leur niveau de vie entre 2016 et 2019. Ministère du Logement – Observatoire de l’Habitat. https://logement.public.lu/fr/publications/observatoire/note-27.html & Leduc, K., & Lorentz, N. (2023, Oct 5). L’indicateur de déprivation cumulée : une nouvelle perspective sur les conditions de logement des ménages. Ministère du Logement – Observatoire de l’Habitat. https://logement.public.lu/fr/publications/observatoire/note-34.html

4. Górczyńska, M., Bousch, P., Paccoud, A., Skoczylas, K., & Feltgen, V. (2020, Jul 2). Le « Logement abordable » au Luxembourg : définition, offre et bénéficiaires potentiels. Ministère du Logement – Observatoire de l’Habitat. https://logement.public.lu/fr/publications/observatoire/note-26.html

5. Une étude s’est intéressée en 2023 aux candidats à un logement en location abordable au Luxembourg : Górczyńska-Angiulli, M., & Paccoud, A. (2023, Jul 4). Qui sont les candidats à un logement en location abordable au Luxembourg ? Ministère du Logement – Observatoire de l’Habitat. Et une enquête sur le logement abordable au Luxembourg a été menée en 2023 auprès de personnes vivant dans des logements bénéficiant d’une participation financière de l’Etat et dont les résultats devraient permettre de recueillir des informations sur leurs conditions de logement, leur satisfaction en matière de logement et de vie, et les perceptions du logement aidé et des politiques de logement dans le pays (plus d’informations ici).

6. Plus d’informations disponibles sur https://fondsdulogement.lu/fr

7. Fonds du logement, Rapport d’activités et bilan 2022, 86p. – lien

8. Plus d’informations disponibles sur https://snhbm.lu/

9. SNHBM, Rapport annuel 2022, 65p. – lien

10. Plus d’informations disponibles sur https://fondation-logement.lu/

11. Pour ces derniers, les données de l’enquête de l’Union européenne sur le Revenu et les Conditions de Vie (EU-SILC) de 2019 ont été utilisées, dans la mesure où de nombreuses ruptures de séries n’ont pas permis jusqu’à présent une exploitation optimale de la base 2021 pour le sujet traité ici.

12. Respectivement 54,6%, 58,9% et 72,2% des locataires de la FAL, SNHBM et FDL ont un revenu disponible en dessous du revenu disponible médian des ménages locataires du marché privé.

13. Il est à noter que les taux d’effort n’ont pas tous la même définition (faute de données disponibles dans les 3 organismes). Pour les locataires privés, la définition est celle d’Eurostat [(coût du logement – les aides au logement) / (revenu disponible-aides au logement)]. Pour les locataires d’un logement abordable, il n’a pas été possible de retirer les éventuelles autres aides liées au logement ; ceci signifie que les taux d’effort des trois organismes peuvent être surestimés par rapport à la réalité.

14. Leduc, K., Lorentz, N., Vergnat, V., Peluso, E., Licheron, J., & Paccoud, A. (2021, Oct 7). Évolution du taux d’effort des ménages résidents du Luxembourg selon leur mode d’occupation et leur niveau de vie entre 2016 et 2019. Ministère du Logement – Observatoire de l’Habitat.

15. Si certaines variations mineures sont observées par rapport à l’étude de Górczyńska-Angiulli, M., & Paccoud, A. (4 juillet 2023) sur les candidats à un logement en location abordable au Luxembourg, cela s’explique principalement par la divergence des dates des fichiers analysés.