Déconnexions de fournitures d’énergie

En 2021 (des chiffres plus récents ne sont pas encore publiés) ont été déconnectés de l’approvisionnement en électricité 870 ménages au Luxembourg, pour le gaz il s’agissait de 46 ménages. Ceci pas uniquement, mais partiellement aussi parce que les fournisseurs de l’énergie ne se tiennent pas aux dispositions légales en la matière. Cette situation existe depuis des années déjà, et elle est bien connue des autorités, mais rien ne se passe pour y remédier.

Stipulations pour éviter les coupures d’énergie et leur échec de mise en œuvre

Au Luxembourg, la loi de 2009 organisant l’aide sociale[1] contient entre autres une disposition garantissant l’approvisionnement de base en énergie. L’article 29 précise que « l’accès à […] une fourniture minimale en énergie domestique est garantie à toute personne remplissant les conditions d’éligibilité pour le droit à l’aide sociale, si elle se trouve dans l’impossibilité de faire face à ses frais […] d’énergie domestique ». La « fourniture minimale en énergie domestique » est définie à l’article 28 comme « la garantie de bénéficier […] d’une fourniture minimale en énergie domestique pour se chauffer correctement, pour préparer ses repas et pour éclairer son logement ».

La loi précise également les modalités de mise en œuvre de cette garantie. Elle renvoie aux dispositions des lois de 2007 réglementant les marchés de l’électricité et du gaz naturel[2], qui prévoient respectivement aux articles 2, paragraphe 8, et 12, paragraphe 5, qu’en cas de factures impayées par quiconque étant un client domestique une certain procédure doit être suivie :

  • après envoi d’un rappel dans les 15 jours, et en cas de non-paiement persistant après 15 jours supplémentaires, le fournisseur informera le client, par écrit, de son intention de le faire déconnecter dans les 30 jours ;
  • simultanément, une copie de ces informations est communiquée par le fournisseur à l’office social compétent pour la commune de résidence du client défaillant ;
  • passé le délai indiqué, et sur demande écrite du fournisseur, le gestionnaire de réseau concerné déconnecte le client défaillant ;
  • toutefois, si une procédure a été engagée par l’office social compétent pour soutenir le client défaillant, aucune déconnexion ne pourra avoir lieu ; et
  • le fournisseur a le droit de faire installer un compteur à prépaiement par le gestionnaire de réseau concerné.[3]

Cette procédure a été incorporée dans les lois de 2007 à la demande du Conseil d’État et était basée sur une directive de l’UE[4], le Réseau anti-pauvreté luxembourgeois (EAPN) ayant également fait pression pour une telle procédure à l’époque.

La loi de 2009 organisant l’aide sociale prévoit en outre, dans son article 30, qu’après avoir reçu les informations précitées, l’office social compétent doit engager une procédure d’accompagnement, si le défaillant remplit les conditions d’éligibilité à l’aide sociale. L’office social informe alors le fournisseur des mesures prises dans les 10 jours suivant la réception d’une copie des informations de la part du fournisseur.

Alternativement, le client défaillant, s’il n’est pas en mesure de payer la facture de fourniture d’énergie, peut s’adresser directement à l’office social, qui procédera selon les règles générales établies aux articles 24 et 25 de la loi. Dans les grandes communes (ou offices sociaux) ayant un nombre important de clients, il arrive souvent que l’office social, débordé par le nombre de dossiers, ne prenne pas l’initiative lorsqu’une information par défaut est reçue d’un fournisseur d’énergie, mais attend que le client se présente. Cela peut entraîner un certain nombre de déconnexions, car le client peut contacter le bureau social trop tard, alors que la procédure de déconnexion est déjà en cours ou même terminée.

Même s’il existe un cadre légal clair pour éviter les interruptions de fourniture d’énergie, et même si les services ne doivent pas être déconnectés si un office social est impliqué, les acteurs sociaux (travailleurs sociaux et autres intervenants dans ce domaine) signalent néanmoins que certaines déconnexions se produisent[5]. Malheureusement, il n’est pas clair si ces déconnexions se produisent alors qu’un bureau social a été contacté ou encore parce que le bureau social a été contacté trop tard.

L’une des raisons peut être que les offices sociaux sont débordés et en conséquence des interruptions de livraison d’énergie se produisent, même si elles sont limitées au minimum. L’une des raisons de ces déconnexions est qu’à ce jour, aucun compteur à prépaiement n’a été installé, alors que cela est prévu par la loi. Il semblerait que cette option soit trop coûteuse et que les fournisseurs attendent que des compteurs intelligents (smart meters) soient installés partout ; cela rendrait le processus plus facile et, surtout, moins cher pour tout le monde.[6]

Les déconnexions d’énergie : un phénomène nouveau ?

Selon un document sur la vulnérabilité énergétique et la garantie d’accès à l’énergie, rédigé et adressé aux partis politiques en 2008 en vue des élections législatives de 2009, environ 150 familles ont été aidées par le ministère de la famille pour payer leurs frais d’électricité et de chauffage.[7] Par ailleurs, environ 10.000 familles ont demandé en 2008 des aides sociales auprès des offices sociaux car elles avaient des difficultés à payer leurs factures d’énergie. Ces chiffres peuvent être comparés aux chiffres les plus récents disponibles, ceux de 2022 :

  • 31.23% des aides financières accordées par les offices sociaux ont servi à aider les ménages à payer l’électricité, le gaz, l’eau ou d’autres taxes communales ;
  • 24.079 ménages ont reçu l’allocation de vie chère et 28.693 ménages étaient bénéficiaires de la prime énergie ; et
  • 10.434 ménages étaient bénéficiaires du revenu d’inclusion sociale « Revis »[8].

Il n’existe cependant aucune donnée sur le nombre de ces personnes qui sont réellement touchées par la déconnexion.

Des chiffres ressortent de la réponse de 2012 du ministre de l’Économie à une question parlementaire déposée fin 2011 : au cours de l’année 2010, les fournisseurs de gaz et d’électricité ont engagé une procédure de déconnexion dans 6.128 cas ; parmi ceux-ci, 4.493 ont effectivement conduit à une demande écrite de déconnexion auprès du gestionnaire de réseau concerné ; finalement 923 clients ont été effectivement déconnectés (0,43 % de l’ensemble des clients particuliers). Environ 80 % des coupures concernaient l’alimentation électrique. Les chiffres rapportés par le ministre n’indiquaient pas combien de personnes à faible revenu étaient touchées. Les fournisseurs avaient apparemment informé le ministre qu’ils suivaient à la lettre les dispositions légales, et que les déconnexions intervenaient après entre deux et quatre rappels et après un délai d’au moins deux mois à compter de la date d’échéance de la facture.[9]

Le député qui avait posé la question en 2011 considérait que le comportement des fournisseurs n’était pas vraiment conforme aux exigences des lois en la matière, et demandait dans une deuxième question si le ministre était du même avis. Mais le ministre a déclaré qu’il ne partageait pas cet avis.[10] Cependant, il est presque certain que la manière dont les fournisseurs procédaient en cas de défaut de paiement submergeait de travail les offices sociaux et les empêchait de faire correctement leur travail.[11]

Une situation qui ne s’est guère améliorée depuis 2011

Notons dans ce contexte que l’Institut Luxembourgeois de Régulation note dans son rapport concernant l’année 2022 : « Une harmonisation des procédures de traitement des clients en défaillance de paiement fait défaut, à la fois au niveau des fournisseurs et au niveau des offices sociaux. »[12] Dont acte ! On pourrait aussi dire « ..fait toujours défaut » !

Comme les procédures des fournisseurs auraient dû s’améliorer depuis 2011, les chiffres devraient être plus bas aujourd’hui ; et pourtant le régulateur rapporte qu’en 2021 les offices sociaux ont reçu 7.712 dossiers concernant l’électricité et 1.581 concernant le gaz ; les gestionnaires de réseau ont reçu respectivement 954 et 463 demandes de déconnexion ; et ceux-ci ont en fait conduit à 870 et 46 déconnexions, respectivement[13]. Les chiffres avaient légèrement augmenté en 2013 et 2014, et après une augmentation significative en 2015 et à nouveau en 2018, les chiffres avaient baissé en 2016, mais avaient remonté en 2017[14]. Depuis 2017, ils sont relativement stables avant une légère baisse en 2021 ; cependant, avant 2021, il y a eu trois fois plus de demandes de déconnexion que de déconnexions pour ce qui est de la fourniture en électricité. Une constatation similaire pour la fourniture de gaz ne peut pas être avancée, les demandes de déconnexion étant dix fois plus élevées que les déconnexions effectives. Le tableau 1 donne un aperçu plus détaillé des procédures de déconnexion.

Tableau 1 : Modalités de déconnexion concernant la fourniture d’électricité et de gaz au Luxembourg 2013-2021 (nombre de ménages)

Sources: ILR (2011-2019) et ILR (2022).


1. GDL – Grand-Duché de Luxembourg (2009), Loi du 18 décembre 2009 organisant l’aide sociale, Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg Mémorial A, No 260 du 29 décembre 2009, Luxembourg.

2. Grand -Duché de Luxembourg (2007a), Loi du 1er août 2007 1) relative à l’organisation du marché de l’électricité (forme abrégée), Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg Mémorial A, No 152 du 21 août 2007, Luxembourg, & GDL (2007b), Loi du 1er août 2007 1) relative à l’organisation du marché du gaz naturel (forme abrégée), Journal officiel du Grand-Duché de Luxembourg Mémorial A, No 153 du 21 août 2007, Luxembourg.

3. Entretemps, les lois ont été modifiées plusieurs fois, mais les procédures n’ont pas changées.

4. Union Européenne (2003), Directive 2003/54/EC of the European Parliament and of the Council of 26 June 2003 concerning common rules for the internal market in electricity and repealing Directive 96/92/EC, OJ L 176, p. 37-55, Brussels.

5. Ce sont des conclusions tirées d’entretiens avec des acteurs du domaine des offices sociaux et des services sociaux.

6. Cette appréciation a été exprimée par certaines des personnes interrogées, qui entretiennent des relations avec les offices sociaux.

7. Ce document, qui était à la disposition de l’auteur sous forme imprimée, n’est malheureusement plus disponible sur aucun site web. Le document s’appuie sur une étude réalisée par « Pour la solidarité asbl », Bruxelles (http://www.pourlasolidarite.eu) à la demande de plusieurs ONG luxembourgeoises.

8. MFAMIGR – Ministère de la Famille, de l’Intégration et à la Grande Région (2023), Rapport d’activité 2022, Luxembourg.

9. La réponse du Ministre de l’Economie à cette question n°1746 en 2010 n’est malheureusement plus disponible sur le site du Parlement. Mais il y est fait référence dans la question n° 1927, voir note suivante.

10. Voir la réponse du Ministre de l’Economie à cette deuxième question n° 1927 à https://www.chd.lu/fr/question/10848, téléchargé le 1er mars 2023.

11. La loi stipule que le fournisseur doit informer le client défaillant, après l’avoir dûment rappelé, de l’intention de le faire déconnecter et que le fournisseur doit transmettre une copie de cette information à l’office social compétent. Contrairement à cette disposition, la manière de procéder des fournisseurs était de transmettre systématiquement aux offices sociaux la liste complète de tous les arriérés lors du premier rappel, de sorte qu’il n’y avait pas d’information individuelle sur une procédure de déconnexion imminente.

12. Institut Luxembourgeois de Régulation (2022), Rapport de l’Institut Luxembourgeois de Régulation sur ses activités et sur l’exécution de ses missions dans les secteurs de l’électricité et du gaz naturel, 2021, Luxembourg, https://web.ilr.lu/FR/Professionnels/Electricite/Commun/Publications/Rapports-et-etudes, téléchargé le 1er mars 2023.

13. Ibid.

14. Institut Luxembourgeois de Régulation, 2011-2019, Rapport de l’Institut Luxembourgeois de Régulation sur ses activités et sur l’exécution de ses missions dans les secteurs de l’électricité et du gaz naturel, Années 2010, 2011, 2012, 2013, 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, Luxembourg, https://web.ilr.lu/FR/Professionnels/Electricite/Commun/Publications/Rapports-et-etudes, téléchargé le 1er mars 2023.